« Le ministère de l’Éducation nationale a un rôle essentiel pour initier les choses mais a tendance à jouer contre nos intérêts parfois. »
Dans le cadre de sa publication spéciale sur la responsabilité sociétale des entreprises, idruide a interviewé Philippe Latombe, député de la première circonscription de la Vendée.
En France, il y a une ambiguïté liée au fait que, sur les sujets d’éducation qui nous intéressent, nous avons en réalité deux interlocuteurs : d’un côté le ministère de l’Éducation nationale et de l’autre les collectivités territoriales qui, en fonction de leur champ de compétence, interviennent sur les sujets numériques. Si le MEN ne recommande pas les solutions à utiliser et les conditions d’usage, les collectivités font au mieux de leurs intérêts.
Quand le MEN a répondu à ma question, il a simplement appelé à une plus grande vigilance des collectivités et du coup elles peuvent continuer à faire ce qu’elles veulent. Nous sommes donc dans une situation où l’on doit, soit compter sur le changement de posture des régions ou des départements, soit attaquer la collectivité au tribunal administratif qui aurait contractualisé avec un opérateur non européen ne respectant pas les règles. Nous pouvons aussi nous inspirer de ce qui se passe à l’étranger. En Allemagne, deux Länder ont refusé d’utiliser des tablettes verrouillées par des solutions Google. Idem en Suède où les logiciels libres sont poussés au maximum tout comme en Espagne où une région a fait aussi le choix du « libre ». La région voisine d’Occitanie pourrait facilement s’inspirer de ce qui se passe à côté.
Au niveau du MEN, il y a des questions connexes qui démontrent que le sujet digital n’est pas pris à sa vraie mesure. Prenons l’exemple de l’algorithme de Parcoursup qui est à ce jour inconnu. L’État considère qu’il n’est pas encore assez fiable pour le donner en accès libre ! Un comble.
Il faut effectivement un écosystème avec des sociétés françaises qui proposent des solutions performantes. Les départements et régions qui financent devraient être sans doute mieux accompagnés par l’UGAP, qui pourrait pousser des start-up françaises innovantes au lieu d’afficher les opérateurs non européens. Dans l’offre de la centrale, il est toujours compliqué de trouver des produits franco-français alors que les solutions US sont mises en avant. Cela doit changer.
Vous savez, quand les collectivités décident de transformer les cantines pour offrir des repas bios à base de produits locaux, elles le font. Le MEN a un rôle essentiel pour initier les choses mais a tendance à jouer contre nos intérêts parfois. Le fait de confier à Oracle la gestion de bases de données alors que beaucoup de solutions existent chez nous est à cet égard très étonnant, pour ne pas dire autre chose.
Une première étape serait que l’autorité de la concurrence s’empare du sujet du dumping de certaines sociétés. Pour cela il faudrait que des plaintes soient déposées à l’initiative de l’autorité elle-même, via les fournisseurs ou l’État en personne. Mais il faut du courage et des ressources pour engager des procédures. Elle pourrait mener une enquête objective et proposer des sanctions le cas échéant. Je suis confiant car une vraie prise de conscience émerge, même s’il y a encore des résistances voire de la paresse parmi les régulateurs. Trop souvent, certains considèrent qu’après tout cela fonctionne bien ainsi et que les Américains sont des partenaires fidèles. Cela n’est pas suffisant : la souveraineté et l’indépendance du pays en dépendent. Si jamais nos alliés nous lâchent, pourra-t-on s’en sortir seuls ?
Les marchés publics constituent un levier efficace. Pour aller plus loin, il nous faudrait un Small Business Act et un Buy European Act. On achèterait des solutions non européennes si et seulement si aucune offre n’est proposée chez nous. Après tout c’est la pratique des Américains sur leur territoire.
La Commission a effectivement publié un accord d’adéquation avec les USA sur les données. J’ai contesté cela auprès du tribunal de l’Union pour invalider cet accord. Je considère que les Américains ne traitent pas les données personnelles comme nous. J’ai par ailleurs déposé récemment un recours au conseil d’État contre la CNIL sur les données de santé qui sont hébergées par Microsoft.
Sur les données, nous sommes bien conscients du problème mais la Commission est beaucoup trop américano-centrée pour assurer une protection efficace. Il y a donc un vrai conflit au niveau du continent et Thierry Breton est un des seuls commissaires à défendre une position très protectrice.
En France on peut certes orienter la commande publique mais cela doit se faire en cohérence avec les textes européens. La Cour de Justice de l’Union doit impérativement intervenir auprès de la commission pour prémunir les citoyens de toute loi extra-européenne.
Nous devons impérativement fixer un cadre juridique stable. La Cour de Justice doit donc statuer pour protéger les données sensibles, notamment les données éducatives. Ainsi, les opérateurs non européens ne pourront plus vendre leur suite de la même façon et nous rétablirons un certain équilibre vis-à-vis des États-Unis. Les GAFA ont déjà saturé leur marché domestique et sont concurrencés en Asie comme en Afrique. Pour leur croissance, il ne leur reste en réalité que l’Europe. Ne la leur offrons pas sur un plateau.