Vers une libéralisation du secteur éducatif ?
Dans une nouvelle étude, l’OCDE préconise des mesures pour libéraliser le milieu éducatif dans le but de réduire les fractures scolaires. Un point de vue qui fait débat.
Le 14 mars dernier, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a publié une nouvelle étude exhaustive sur les inégalités des élèves face au parcours et à la réussite scolaire. La crise sanitaire est passée par là, soulignant et exacerbant ces inégalités dans de nombreux pays, y compris les plus développés.
Cette étude dresse un bilan de la situation et préconise des solutions pour remédier aux problèmes. Mais ces solutions font débat dans le milieu de l’éducation. En effet, l’OCDE suit une ligne libérale sur la gestion de l’école, à l’image du modèle de nouveau management public.
L’une des observations de l’étude porte sur les « meilleurs professeurs », qui enseignent plutôt dans les écoles favorisées. Pour l’OCDE, un « bon » professeur a été formé, possède déjà de l’expérience et sait gérer sa classe de façon à ce que le maximum de temps soit dévolu à l’instruction.
Le rapport note aussi que les écoles considérées comme favorisées sont celles mieux dotées, notamment d’un point de vue matériel, et qui ont donc su tirer profit de l’enseignement à distance pendant les périodes de confinement.
Selon l’OCDE, donner plus d’autonomie aux établissements scolaires, en leur permettant de recruter et de salarier leurs enseignants, permettrait de créer un vaste marché éducatif, qui faciliterait la répartition des « bons » enseignants entre ces établissements. « Les écoles sont plus à même que les systèmes éducatifs pour identifier les bons enseignants. Plus les chefs d’établissement disposent d’autonomie pour fixer la paie des enseignants pour mieux prendre en compte les difficultés du métier, plus ils sont capables d’attirer les meilleurs enseignants pour leurs élèves », explique le rapport.
Toutefois, l’organisation reconnaît qu’en cas de compétition entre les écoles, les meilleurs enseignants se retrouvent presque naturellement dans les écoles favorisées. À partir de ce constat, l’OCDE recommande d’instaurer un système de primes pour que ces enseignants plus qualifiés aillent travailler dans des établissements moins favorisés. C’est par exemple le cas en Angleterre, où le système s’étend aux matières rares, comme les mathématiques.
Dans cette étude, le cas du système éducatif français permet de montrer la complexité des situations. La répartition des enseignants expérimentés en France est considérée parmi les plus inégales des pays développés, et ce même si les écoles populaires ont des enseignants mieux formés que dans de nombreux autres pays, grâce notamment au programme d’éducation prioritaire de 2014.
Malgré tout, dans ces écoles moins bien dotées, le temps d’instruction est réduit par rapport aux écoles plus favorisées et les enseignants se sentent moins efficaces. Par contre, dans le secteur public, on trouve des enseignants mieux formés au numérique que dans le privé, mais les outils numériques sont globalement moins utilisés. Des programmes à grande échelle comme les TNE visent toutefois à corriger cette situation.
Selon François Jarraud, rédacteur en chef d’un site spécialisé sur le monde de l’éducation : « Si l’OCDE sait calculer des corrélations pour montrer la pertinence du modèle, l’histoire récente montre que les résultats ne sont pas forcément au rendez-vous. »
« On dispose de l’étude de Florence Lefresne et Robert Rakocevic sur l’échec des modèles suédois, anglais et hollandais. Voilà trois pays qui ont appliqué une large autonomie des établissements. La Suède est allée le plus loin (…) en municipalisant le recrutement et les salaires des enseignants et en accordant aux écoles une large autonomie pédagogique. Dans les trois pays, on a d’abord assisté à une forte perte d’attractivité pour le métier (…) avec des pénuries obligeant les établissements à recruter des enseignants très peu formés. Finalement les résultats des élèves (…) sont inférieurs à la moyenne OCDE en Angleterre et aux Pays-Bas. En Suède il y a eu une telle dégringolade que l’OCDE elle-même a fini par recommander de revoir l’autonomie des établissements », explique-t-il.
Or cette fracture scolaire dérive de la fracture sociale en général. Essayer de la raccommoder sans agir sur d’autres aspects sociétaux aurait donc peu de sens. Pour François Jarraud : « Il se trouve que les écoliers sont aussi des enfants qui ont des conditions de vie qui influent fortement sur les résultats scolaires. Reconnaître cette réalité, ce serait aussi remettre en question le « mérite » et « l’égalité des chances ». Et c’est peut-être ce qu’on veut éviter de faire ».