EdTech France raconté par sa déléguée générale

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Interview d’Anne-Charlotte Monneret, déléguée générale d’EdTech France, qui présente les enjeux de l’association qui regroupe plus de la moitié des 600 entreprises du secteur.

Nous sommes une association loi 1901, fondée officieusement fin 2017, officiellement en mai 2018. L’idée est partie de quelques entrepreneurs « montants » de la edtech française qui se sont dit : « on fait des choses vraiment bien, on travaille pour l’éducation de demain, mais nous sommes de jeunes entreprises, et c’est compliqué d’aller parler seul à une collectivité, une université, une grande entreprise, un Ministre… Alors autant unir nos forces pour porter notre voix et faire rayonner nos savoir-faire en France et au-delà ». 

Tout cela a maturé avec un groupe de travail, dont est sorti un manifeste, le manifeste EdTech France pour fédérer les entrepreneurs de la filière, démontrer l’excellence des technologies françaises et diffuser l’importance de mettre le numérique au profit d’une meilleure expérience d’apprentissage. Ensuite il y a eu la signature du manifeste par des entrepreneurs toujours plus nombreux qui se sont fédérés autour de la démarche. La Caisse des dépôts a soutenu le projet ainsi que l’observatoire des Edtechs, aux côtés de Cap Digital, et c’était parti.

Avant la crise sanitaire, le terme « Edtech » restait assez « marginal », plutôt utilisé dans un milieu d’initiés ou dans la « startup nation ». Il y a eu une forte exposition médiatique du terme, et ainsi une meilleure compréhension par le grand public sur les derniers mois. Le marché est en très forte accélération qu’il y a plus de 600 entreprises dans ce secteur en France !

Après constitution du premier board d’entrepreneurs élus parmi le réseau, et embauche d’un directeur général, le travail a commencé sur la base de plusieurs piliers : 

Pilier 1 : fédérer une communauté d’entrepreneurs. Convaincre qu’il y a un intérêt à unir nos forces dans une association, à partager les bonnes pratiques… Ce n’est pas une évidence pour un entrepreneur qui a réussi de se dire qu’on va prendre du temps pour aider d’autres jeunes entreprises qui sont dans le même secteur, sur le même marché. 

Pilier 2 : construire un réseau de partenaires. Beaucoup de gens se sont révélés très intéressés, que ce soit dans l’enseignement supérieur, les entreprises grands comptes, les organismes de formation traditionnels, ou encore les collectivités. Ils ont tous besoin d’un point d’entrée unique sur le secteur de l’Edtech pour porter leurs projets.

Pilier 3 : une action de lobby public, pour porter la voix des acteurs de la edtech, des entreprises qui cherchent à s’exporter, à trouver leur marché, à grandir tout en ayant un impact. La force d’EdTech France, c’est que ce sont des entreprises présentes à la fois sur le scolaire, l’enseignement supérieur, et la formation continue, et que chaque segment du marché enrichit les autres… Nous avons aussi une grande diversité des membres en termes de taille d’entreprise, de la startup au champion européen. Ce mélange de profils permet de toquer à la porte des ministères un peu plus facilement, pour mener ce travail de lobbying. 

Pendant la crise sanitaire, l’association a fortement gagné en visibilité car nous avons mis en ligne en 48h, une plateforme qui s’appelait « Solidarité ». Nous ne pouvions pas rester sans rien faire, nous, acteurs de la technologie. La plupart de nos membres y ont proposé, gratuitement ou avec des réductions très importantes, leurs produits à destination des familles, des enseignants, des élèves, et des établissements.

Nous sommes aujourd’hui 380 membres dans toute la France. Il y a des start-ups, des scale-ups, et des entreprises bien établies. Nous avons un collectif fort, innovant et audible. C’est une très grande fierté, quand on regarde trois ans en arrière, de voir tout le chemin parcouru.

Il y a eu plusieurs conséquences.

Un impact culturel assez fort qui a abouti à un quasi-consensus sur l’utilité réelle du numérique pour maintenir la communication quand les établissements ne sont plus accessibles, et surtout sur son utilité pédagogique, qui était déjà évidente pour certains, mais pas pour tout le monde. 

La pandémie a aussi mis en lumière le retard dans la transformation digitale, et dans l’hybridation des enseignements, au sein des établissements scolaires et de l’ESR. Il s’agit d’un retard au niveau des équipements en matériel, en ressources numériques, au niveau de la connexion, et aussi de la formation des équipes pour utiliser le numérique. Mais pour remettre les choses à leur juste place, la Covid a aussi accéléré des projets qui étaient déjà en place, et porteurs d’innovations durables.

La crise a ainsi mis en lumière les difficultés de la transformation massive du système éducatif sur ces sujets du numérique. Mais les choses commencent à bouger, lentement, avec le SNEE, les TNE, avec une prise de conscience qu’il faut impérativement additionner équipement, ressources numériques et formation. 

Sur la partie entreprises, des changements ont eu lieu dans la manière dont la formation et l’apprentissage, qui étaient ponctuels dans la vie d’un salarié, ont pris une autre dimension. La formation est de plus en plus considérée comme une modalité de la vie professionnelle, avec des entreprises qui ont de vrais moyens sur la formation continue, sur les soft skills, comment manager, comment avoir une relation pérenne avec ses équipes, etc. L’essor du CPF a également accentué la demande pour se former côté B2C, avec une vraie prise en main par chacun de son parcours professionnel, grâce à la formation.

Une véritable compréhension que les métiers de demain seront numériques. On le savait, mais désormais il est presque unanimement acquis que le passage au numérique allait toucher tous les corps de métier, pas que les professions de « cadres ».

Cela démontre l’urgence de former les jeunes au numérique dès le plus jeune âge, d’intégrer le numérique à l’école comme modalité d’apprentissage, et de permettre aux individus qui veulent se former au numérique de le faire. En août, « l’abondement » est venu compléter le Compte Personnel de Formation, qui permet d’ajouter un financement supplémentaire pour se former spécifiquement aux métiers du numérique.

Il y a une vraie prise de conscience des pouvoirs publics que le monde se transforme, et de la nécessité de ne pas créer une génération à deux vitesses.

En plus des TNE et du SNEE, il y a aussi l’AMI DemoEs pour financer à hauteur de 10M€, un établissement du supérieur, afin de réaliser un projet numérique porté avec des entreprises de l’Edtech, privées. C’est une vraie avancée. Enfin, pour la formation professionnelle, il y a un volet du plan de relance du Haut-Commissariat aux Compétences dédié à l’hybridation et la digitalisation de la formation, pour que TPE et PME de formation puissent accélérer leur transition numérique, toujours en s’appuyant sur un consortium d’acteurs edtech. Ce terme apparaît dans les textes, de manière claire, ce qui n’était pas forcément le cas avant le Covid. 

Il y a tout un lobby informel en amont pour faire en sorte que le plan sorte. Nous remontons la nécessité du texte, du budget, en mettant en perspective le montant alloué. 100M€, ça peut paraître important, mais ça dépend où on les met. Tout cela est rendu possible grâce au contact pré-établi avec les ministères. 

Ensuite, nous sommes présents (ou essayons d’être présents) dans les ateliers de construction des textes. Il y a des ateliers de travail, une réflexion avec les acteurs de l’écosystème. Là, notre but c’est, en ayant en tête les besoins des acteurs de la filière, de faire le maximum pour que le texte public colle aux demandes de nos entreprises. 

Ensuite, quand le texte sort, il faut le diffuser à notre communauté, car nos entrepreneurs n’ont pas forcément le temps de faire une veille sur tous les marchés publics. 

Enfin, faire de la vulgarisation, pour que tout le monde comprenne les enjeux de ces textes, et aider à la formation de consortiums en mettant les membres en relation entre eux. 

Attention, il n’y a pas que les appels à projets dans la vie. Je préférerais que chaque marché soit autonome et que le meilleur produit gagne des parts de marché, dans une compétition pure entre les acteurs. Mais, de fait, nous sommes dans un contexte de relance, avec de l’argent public sur la table. Il faut savoir en profiter, et l’utiliser à bon escient.

Le rôle de notre association, c’est aussi de faire en sorte que tout le monde reçoive l’information, que les intérêts de la filière soient portés, et que les entrepreneurs puissent, s’ils le souhaitent, y répondre, dans de bonnes conditions. 

Mais il faut garder en tête que c’est temporaire. En tant qu’acteurs privés, on ne peut pas être biberonné à l’argent public. Il faut être conscient qu’un jour cela s’arrête les plans de relance. C’est pour ça que nous défendons la mise en place de business models pérennes, des canaux d’acquisition multiples, et l’internationalisation. 

Nous avons un bureau, avec neuf entrepreneurs élus parmi les membres, tous bénévoles, pour une durée de deux ans. Ils sont donc élus par tous les membres EdTech France lors d’une assemblée générale, sur la base de propositions qu’ils portent. Le board doit ainsi porter la voix de la filière en l’incarnant dans toute sa diversité.

À chaque élection du board, il y a la rédaction d’un manifeste, pour expliquer ce qu’il souhaite faire, quelles sont les priorités pour lui, ses grands principes, sa feuille de route, etc. Ensuite, nous tenons une réunion de bureau toutes les deux semaines, avec des échanges sur l’actualité, un retour sur les différents plans,  les nouveautés du secteur,  les commissions de l’Assemblée Nationale, les évènements à venir, etc.

Il y a aussi des groupes de travail internes par thématiques, qui sont autogérés par les membres, sur l’enseignement supérieur, l’international, la réforme du CPF… On écoute aussi les difficultés des entrepreneurs, pour mieux y répondre, et surtout en favorisant l’échange entre pairs.

En ayant une voix unique qui représente tous les secteurs de marché et toutes les tailles d’entreprises en France. Ce qui est très important, c’est qu’avec le nombre d’entreprises dans le réseau, nous avons une voix à part entière dans le débat public, nous devons continuer ainsi à grandir en tant que réseau et à fédérer le plus d’entreprises possible pour légitimer nos actions quotidiennes. Nous sommes invités sur des événements plus généralistes, nous pouvons nous positionner parmi les fédérations industrielles et être considéré dans les plans de relance, par exemple.

Les choses bougent en ce moment à l’international, et notamment dans la Francophonie avec le Sommet qui se tient cette année. Grâce à Business France, nous avons pu financer des postes de VIE au Mexique et à Tunis, co-piloté avec l’Afinef. Ce sont des chargées de mission Edtech qui ont pour but de faire de la veille sur la Edtech localement, d’identifier les acheteurs locaux, les innovations en présence, aider nos entrepreneurs à accéder à ces marchés, etc.  

L’idée c’est que vu la complexité du marché de l’éducation en France, la Edtech française a de bonnes capacités d’adaptation aux marchés étrangers, sans coût de traduction pour les pays de langue française, ce qui n’est pas négligeable. Cela peut aboutir à la création de partenariats locaux, pour équiper des écoles, des universités. La mission de notre réseau est aussi d’aider à l’internationalisation des savoir-faire de nos membres à l’étranger, tout en construisant un marché français, pluriel et durable.

L’internationalisation était vue comme « l’étape d’après », maintenant on y pense à plus court terme, même au sein de jeunes structures.

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Un article de idruide publié le 28 Jan. 2022
Remerciements & Crédits Propos extraits du Petit Hors-Série n°3, novembre 2021, idruide, tous droits réservés.
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